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Aux origines de l’État social en Suisse

Nous vous invitons à découvrir cet article qui fait partie d’un dossier consacré au sociologue romand, René Knüsel, publié en collaboration entre REISO et l’Institut des sciences sociales (ISS) de l’Université de Lausanne.

 

Dans «Assurances sociale: une sécurité pour qui», René Knüsel et Félix Zurita démontrent comment l’État s’est engagé à «rendre l’inégalité supportable, tout en la maintenant».

Par Jean-Pierre Tabin, professeur honoraire, Haute école de travail social et de la santé (HES‑SO), Lausanne

 

Aux origines de l’État social en Suisse

 

Extraits :

René Knüsel et Félix Zurita écrivent que les radicaux « éclairés » ont joué un rôle majeur dans les premières discussions sur l’État social en Suisse, en particulier Ludwig Forrer (1845‑1921) qu’ils présentent comme « le père » d’un projet d’assurance maladie et accidents « audacieux » et « révolutionnaire ». Si son imposant projet, accepté en 1899 par un Parlement presque unanime, n’a pas trouvé grâce en votation, le non l’emportant par 70 % des votants le 20 mai 1900 (participation 67 %), Forrer est présenté par Knüsel et Zurita comme un des notables qui a lancé en Suisse le débat sur le rôle social de l’État.

 

Le lion de Winterthour

Si Knüsel et Zurita insistent sur le rôle moteur du « lion de Winterthour », allant même jusqu’à se demander à l’époque où ils écrivent « où donc sont passés les bourgeois éclairés d’antan ? », ils ne se contentent pas d’une théorie de l’homme providentiel. Selon eux, en effet, les origines de l’État social suisse sont également à chercher dans le développement du capitalisme industriel et de l’État fédéral. Attentifs au contexte idéologique dans lequel les premières assurances sociales sont discutées, notamment au fait que « l’assurance permet […] un compromis entre les revendications ouvrières et la volonté de la bourgeoisie de ne pas céder ses droits de propriété », ils mobilisent à différentes reprises une perspective matérialiste.

 

La régulation des rapports de travail

Le premier élément qui a contribué à ce développement est lié aux risques découlant de l’emploi dans les fabriques. François Ewald (1986) a montré l’importance de la gestion du risque « accident du travail » pour le développement de l’emploi industriel. En effet, pour reprendre les termes de Karl Polanyi (1983), la marchandise « force de travail » employée au profit du capital peut être abîmée, voire détruite, par un accident industriel ou par une maladie provoquée par les conditions dans lesquelles elle est utilisée.

Au début de l’ère industrielle, les conséquences de la réalisation de ce risque étaient à charge de la personne atteinte dans sa santé. Le raisonnement voulait que, ayant choisi de travailler dans cette industrie, elle devait en assumer les conséquences. La logique change vers le mitan du XIXe siècle, la question de la responsabilité du risque devenant centrale. L’industriel a-t-il pris toutes les mesures de sécurité nécessaires ? L’accident est-il imputable à une faute de l’employé·e ?

 

La construction d’un État fédéral

Ces nouveaux rôles dévolus à l’État l’amènent à prendre des mesures pour créer un statut de la fonction publique afin de s’assurer la loyauté de ses agents. Cela constitue un troisième élément expliquant la mise à l’agenda fédéral de mesures de protection sociale. Elles concernent d’abord le bras armé de l’État, ensuite d’autres types de fonctionnaires fédéraux.

L’État fédéral suisse a été institué en 1848. Pour assurer ce que Max Weber (1919) nomme le monopole de la violence légitime, le service militaire obligatoire est instauré. Aussitôt émerge la question de savoir comment protéger « les militaires blessés ou mutilés au service fédéral, les veuves et orphelins et autres parents nécessiteux de ceux qui ont péri » . L’assemblée fédérale édicte en 1852 une loi sur les pensions, prévoyant pour les militaires blessés une indemnité ou une pension.

 

Les questions sociales et sanitaires

Enfin, les questions sociales et sanitaires font largement débat en cette fin de XIXe siècle. Elles constituent le quatrième élément qui explique la mise à l’agenda de mesures de protection sociale. Selon une commission du parlement, l’État fédéral devrait en effet s’occuper « activement des questions sociales […] [car c’est] le meilleur et le seul moyen de prévenir le mécontentement social et les dangers sociaux »

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Cet article fait partie d’un dossier de dix articles, publié en collaboration entre REISO et l’Institut des sciences sociales (ISS) de l’Université de Lausanne. Celui-ci rend hommage au sociologue René Knüsel, professeur ordinaire en sociologie des politiques et de l’action sociale, de 2004 jusqu’à sa retraite en 2020. Ce corpus est articulé en trois sections : 1) Regards sociologiques sur l’État et ses politiques sociales, 2) Modèles d’interventions inclusifs et 3) Actions concrètes sur le terrain.

Coordinateurs de ce dossier, André Berchtold, professeur associé à l’ISS, et Jacques-Antoine Gauthier, maître d’enseignement et de recherche, ont ainsi « proposé à quelques ancien·ne·s collègues, au court comme au long cours, de prolonger encore un peu le cheminement commun » avec René Knüsel. « Il en est issu cet ensemble de réflexions parlant moins de travail que d’êtres humains, mais mettant toujours en avant une passion commune pour la justice et la discussion. » L’ensemble du dossier est publié conjointement sur REISO et dans un livre.

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